SUITE PARTIE 6 - LA RELATION INTER-HUMAINE :
2.Indiciel et iconique :
Sur la base de la distinction précédente, est-il possible de pousser un peu plus loin l'analyse ? Il semble que oui si l'on veut bien se rappeler que les sémiologues distinguent deux types de communication analogique :
l'indiciel caractérise une communication dans laquelle le message fait corps avec son médium, le signe avec la chose signifiée. L'échange viral est un exemple de cette communication indicielle qui tend à confondre le médium, le "message" et les partenaires de l'échange.
Le virus de la peste n'est pas la peste mais il en est potentiellement porteur lors de l'échange.
Sur le mode de la "présence réelle" l'indiciel joue ainsi sur les échanges vitaux, le registre des affects et des interrogations existentielles.
L'iconique caractérise une communication dans laquelle le médium est un signe "ressemblant" à la chose communiquée mais n'est pas la chose. Il évoque directement la chose par sa forme ou son apparence, et sans passer par la médiation des mots.
La communication iconique est à la base de la plupart des arts et des rituels, lesquels par leur grande puissance d'évocation réussissent à faire communier les hommes là où la parole se montre impuissante.
Explicitons ces différents modes de communication au moyen d'un exemple emprunté à la vie courante et qui est celui de la relation amoureuse. Lorsque des amoureux échangent un baiser, ils sont dans l'indiciel; quand ils se font des cadeaux, ils sont dans l'iconique; lorsqu'il s'adressent des lettres d'amour, ils sont dans le digital.
3.Symétrique et complémentaire :
Il s'agit ici de décrire des relations fondées soit sur la ressemblance, soit sur la différence. Dans la première, les protagonistes cherchent à minimiser la différence, dans la seconde à la maximiser.
Relation symétrique :
les partenaires ont tendance à adopter un comportement en miroir. Un tel comportement s'observe par exemple dans les phénomènes de rivalité et de concurrence ; il n'est pas sans évoquer ce que René Girard appelle le désir mimétique.
Relation complémentaire :
le comportement de l'un des partenaires complète celui de l'autre. Dans cette relation, il y a deux positions possibles : la supérieure ou haute, l'inférieure ou basse.
Il ne faut pas voir dans ces termes, qui sont très commodes, une connotation morale. Le contexte social ou culturel prescrit d'ailleurs dans de nombreux cas une relation complémentaire : par exemple mère/enfant, médecin/malade, professeur/élève.
Relations symétriques et complémentaires peuvent être le lieu de troubles pathologiques venant affecter gravement la communication : escalade pour la symétrie -la réciprocité mauvaise de René Girard-, rigidité pour la complémentarité -structures d'oppression par exemple-.
Ces effets manifestent le caractère ago-antagoniste de la boucle de communication qui peut tout aussi bien déboucher sur un équilibre -sain ou pathologique- que sur un déséquilibre explosif.
4.Ponctuation de la séquence des échanges :
Il s'agit de l'effet pervers que provoque un des partenaires - ou un observateur extérieur- lorsqu'il veut de toute force traiter la boucle de rétroaction du processus communicationnel sur le mode de la causalité linéaire... c'est à dire faire retour à la théorie de l'information.
Entre destinateur et destinataire existe un flux continu et ininterrompu -analogique et digital- de communication.
Parler alors de commencement et de fin pour désigner un des moments de ce flux circulant n'a strictement aucun sens. Il faut abandonner l'idée qu'un événement a est premier et qu'un événement b est déterminé par l'existence de a, car on pourrait tout aussi bien prétendre l'inverse selon le point, arbitraire, où l'on choisit de couper la boucle de rétroaction.
Il se trouve cependant que les êtres humains engagés dans une interaction ont constamment recours à ce type de raisonnement.
Appliquant spontanément la théorie de l'information, ils cherchent à isoler dans le flux des messages des séquences plus ou moins identifiables.
Leur tentation est alors d'introduire une ponctuation dans ces séquences, par exemple une émission de A qui va produire sur B un effet -on se trouve alors autorisé à parler de la « psychologie » de B-, lequel B répondra par une ré-émission vers A,...et ainsi de suite.
L'ennui est que cette ponctuation, vue par chacun des partenaires, n'est pas forcément identique, même si nous avons heureusement en commun lorsque l'on appartient à une même culture, beaucoup de conventions de ponctuation -ce qui permet de structurer nombre d'interactions à la fois banales et importantes-.
Le désaccord sur la manière de ponctuer une séquence d'échanges est à l'origine d'innombrables conflits qui portent sur la relation. Watzlawick note que dans la psychothérapie des couples, on est souvent frappé de cette "distorsion de réalité" chez les deux partenaires.
Les relations sociales dans les entreprises, les relations politiques, les relations internationales, abondent de modèles pathologiques analogues -par exemple la lutte des classes, la course aux armements, etc.-.
5.Méta-communication et recadrage :
Lorsque nous prenons conscience du caractère totalisant de la communication -la métaphore de l'orchestre-et de la logique qui sous-tend les interactions, nous ne cessons pas pour autant de faire partie du système, mais nous communiquons alors sur la communication.
Cette méta-communication peut s'avérer particulièrement utile pour sortir d'une situation de blocage de la communication.
C'est par exemple le cas d'un débat entre spécialistes n'ayant pas étalonné leur vocabulaire ; une méta-communication sur la terminologie, au moyen du langage naturel et venant en préliminaire de l'échange des arguments sur le fond, a alors de grandes chances de débloquer la situation.
Quand la pathologie concerne la relation, le déblocage est autrement plus délicat. Il n'existe pas dans ce cas un langage pour méta-communiquer, contrairement à l'exemple précédent.
Nous nous trouvons en effet limités au langage naturel pour véhiculer à la fois communication et méta-communication.
Et la pathologie relative à la communication vient contaminer en permanence les tentatives pour méta-communiquer, ce que les psychothérapeutes connaissent d'expérience.
Il arrive cependant que pour des partenaires engagés dans une communication déficiente, la découverte d'une voie possible pour méta-communiquer les conduise à voir de manière tout à fait nouvelle la situation....et à imaginer des réponses qui sortent entièrement le problème de son cadre logique d'origine.
Ce processus a été décrit par Watzlawick sous le nom de recadrage. Il n'est sans doute pas étranger aux phénomènes spirituels connus sous le nom de conversions.