LA RELATION INTER-HUMAINE
Gerad DONNADIEU -Ancien professeur à l'Université Paris 1 -Panthéon-Sorbonne-
Tout homme en venant au monde se trouve ainsi pris dans ce réseau de relations tissé par la socio-culture.
Sa situation est semblable à celle du nouveau musicien qui reçoit un instrument et à qui on demande de se joindre à l'improvisation.
Pour lui, ne pas émettre de son c'est encore jouer en produisant... un silence, silence qui sera aussitôt interprété et repris par les autres musiciens.
"Il n'existe pas de non comportement, même le silence, même la posture du schizo recroquevillé au stade de la catatonie sont un message.
L'espace humain est sémiotique et saturé d'affects ; notre espèce ne naît pas dans les choses, mais toujours dans les signes, c'est à dire dans le sens".
C'est pourquoi "on ne peut pas ne pas communiquer" comme le dit Paul Watzlawick dans l'ouvrage princeps de la nouvelle approche qui n'a pas fini de bouleverser les sciences humaines.
Tout l'ouvrage consiste d'ailleurs à définir les caractéristiques de la communication inter-humaine, caractéristiques de portée absolument générales car de nature anthropologique.
Pour Watzlawick "toute communication présente deux aspects :
Le contenu -c'est à dire l'information échangée- et la relation, tels que le second englobe le premier".
Et il précise :
"C'est mon intuition personnelle qu'un cinquième peut être, de toute communication humaine sert à l'échange de l'information, tandis que le reste est dévolu à l'interminable processus de définition, confirmation, rejet et redéfinition de la nature de nos relations avec les autres".
Si on prend au sérieux cette affirmation, on se trouve conduit à dire que ce qui est important dans la communication n'est pas le message échangé -encore qu'il en faille un- mais la relation de circularité qui se noue entre les protagonistes engagés dans cette communication.
On reconnaît là une boucle de rétroaction, chère à la pensée systémique, mais aussi la figure de base de l'échange symbolique des ethnologues.
On sait en systémique qu'une telle boucle doit être étudiée dans sa globalité dynamique en se refusant absolument à disjoindre les deux pôles -ouvrir la boucle constitue même l'erreur majeure et impardonnable !-.
L'important dans un tel échange est la relation elle-même bien davantage que les messages qui la matérialisent et la signifient.
On peut dire, d'une certaine manière, que le message n'est rien d'autre que l'expression matérielle revêtue par la relation ; un physicien parlerait de « relation cristallisée ».
C'est pourquoi en communication inter-humaine et s'agissant des messages échangés, la question herméneutique -c'est-à-dire l'interprétation des messages)-est véritablement centrale.
1 - De quelques concepts de la théorie de la communication
A partir des fondements qui viennent d'être présentés, il est possible de prolonger l'exploration du modèle en précisant quelques concepts.
1.Analogique et digital :
2.La distinction posée par Watzlawick sur les deux aspects -relationnel et informatif- de la communication, le premier englobant le second, peut être enrichie par une seconde distinction qui la recouvre partiellement et la précise :
la communication digitale concerne tout ce qui est de l'ordre de la parole qui décrit et qui organise, du concept, de la carte et du schéma, du nombre.
Il s'agit d'un langage qui dispose d'une syntaxe logique complexe et très commode. Bien adapté à la transmission du contenu de la communication -l'information-, ce langage est en revanche déficient chaque fois que la relation est au centre de la communication.
La communication analogique concerne pratiquement tout le reste, c'est à dire le corps, le geste, la mimique, l'intonation, la place, le rôle et plus largement tous les actes posés par la personne et susceptibles de prendre sens dans le processus de communication.
Extraordinairement divers, composites et se déployant dans la durée, les actes sont une forme très puissante de communication analogique, forme très souvent occultée dans les exposés sur la communication.
On peut inclure aussi la parole poétique dans cette forme de communication, car son ambition n'est pas de décrire mais d'évoquer et d'émouvoir.
C'est dire que dans l'ordre du mot et du verbal, le glissement du digital à l'analogique est quelquefois très ténu.
Watzlawick pense que l'analogique plonge ses racines dans des périodes archaïques de l'évolution humaine et qu'il a de ce fait une validité plus large que le langage digital, relativement récent et plus abstrait.
Mais son défaut est d'être dépourvu d'une syntaxe univoque pour qualifier de manière claire la nature des relations.
Dans le vécu de la communication, l'homme se trouve dans l'obligation de combiner ces deux langages et il doit continuellement les traduire l'un dans l'autre. Comme l'observe Watzlawick :
« La difficulté de traduction existe dans les deux sens. Il ne peut y avoir traduction du langage digital en langage analogique sans une perte importante d'information.
L'opération contraire présente également des difficultés considérables : pour parler sur la relation, il faut pouvoir trouver une traduction adéquate de la communication analogique en communication digitale ».