ARTICLE ECRIT EN JANVIER 2004 -
Par Jules MARDIROSSIAN, journaliste scientifique d'origine Arménienne-
La Maison-Blanche vise à instrumentaliser l’Etat turc, au détriment des pays du Moyen-Orient, de la Transcausasie et de la cohérence de l’Union européenne.
L’intégration de la Turquie à l’UE correspond à une réminiscence néocoloniale de l’Occident via l’Europe, qui permettrait à Washington de mieux dominer
toute cette zone.
Lire une étude de la candidature de la Turquie au vu des paramètres démographiques et économiques
L'élargissement de l'Union européenne à la Turquie, sous couvert d'ouverture et de volonté pluraliste des pays du vieux continent, fait en réalité partie de la stratégie géopolitique américaine.
Celle-ci vise à travers l’Occident déjà structuré en grandes entités, soit confédérale –Europe-, soit fédérale -États-Unis- à entraver l'organisation du Moyen-Orient, en engendrant directement ou indirectement des scissions dans cette région pour la maintenir dépendante.
Diviser le Moyen-Orient et l’Europe
L'Union européenne, en "s'appropriant" la Turquie, certes à la demande de ses dirigeants, mais aussi sous pression constante des États Unis, la désolidariserait structurellement de l'aire socio-politique et géographique du Moyen-Orient, dont elle fait partie.
De cette manière, cette zone géopolitique serait quasiment privée de sa composante la plus puissante, avec s
es 780 576 km² et ses 68 millions d'habitants.
La Turquie représente près du tiers de la population de cette région du monde qui souffre de ses antagonismes et de son manque de cohésion.
Ainsi, Ankara ne pourrait plus contribuer, à part entière et dans les mêmes conditions que les autres pays de cette aire, à la structuration du Moyen-Orient.
Cette zone se doit pourtant de créer à terme une entité régionale autonome cohérente et en paix avec des critères spécifiques, dans le cadre des grands principes du droit international.
L'organisation du monde s'oriente vers la constitution de grandes aires d'intégration régionale, favorisant la pacification et permettant, entre autres, de ne pas être, pour un pays seul ou un groupe de pays non coordonnés, en situation d'infériorité face aux grandes puissances fédérées ou confédérées.
En 2003, l'intervention américaine en Irak est un nouveau facteur accentuant la perturbation, la division et la dépendance de cette aire socio-politique.
L'Irak était le seul pays arabe du Moyen-Orient "doté d'une armée expérimentée, disposant d'un fort potentiel technologique, détenteur des secondes réserves de pétrole du monde, (…) pouvant prétendre exercer un rôle de premier plan dans le monde arabe (dont peut-être un rôle fédérateur) ; (…) or l'Irak a résolument fait le choix de se rapprocher des nations européennes, en particulier de la France; (…) cela signifie à terme un déclin de l'hégémonie américaine dans le Golfe et une remise en cause des compagnies anglo-saxonnes sur la politique pétrolière. (…)
C'est dans ce contexte qu'est née la politique d'affaiblissement du potentiel économique et militaire de l'Irak" (1).
D'une manière plus globale, "ce qui caractérise l'approche géopolitique des États-Unis au Proche Orient est la volonté de maintenir le monde arabe dans le sous-développement, de l'empêcher de s'unir et de constituer une puissance qui serait naturellement proche des nations européennes" (2), en se servant de la Turquie et des antagonismes régionaux afin de ne pas avoir à négocier à terme avec une région cohérente et structurée, consciente politiquement de ses atouts pétroliers.
Il faut signaler que le dernier différend turco-américain concernant l'utilisation militaire du sol de la Turquie, ne change en rien la stratégie à long terme des États-Unis exploitant, depuis plus de 50 ans ce pays comme son "cheval de Troie "dans cette zone géographique.
En effet, l'alliance américano-turque a été régulièrement parsemée d'accrocs sans jamais la remettre fondamentalement en cause :
retrait en 1963 des fusées Jupiter de Turquie, crise de Chypre en 1974 provoquant l'embargo sur les armes de 1975 à 1978 et la fermeture des bases américaines, refus d'Ozal de remilitariser l'île de Lemnos, remise en chantier aux États-Unis en 1989 du projet de résolution concernant le Génocide des Arméniens, nombreux refus d'utilisation militaire du sol turc.
En fait, ce lien est pérenne car il est fondé sur des intérêts croisés complémentaires et une volonté commune de puissance :
"les considérations sont d'ordre économique pour la Turquie tandis que celles des États-Unis sont d'ordre géopolitique" (3).
Quel projet européen ?
Par ailleurs, les multiples interventions américaines sur la Cour pénale internationale, contre le projet d'armement européen, pour la guerre en Irak, pour l'intégration de la Turquie dans l'Union…(4), introduisent des facteurs de division européenne.
Ce qui contrarie le développement d'un projet politique de l'Union, laissant aux Américains le champ libre au Moyen-Orient où les Européens ont toujours été présents :
"les États-Unis, première puissance mondiale, n'entendaient pas voir le projet européen s'écarter d'un projet occidentaliste qui visait dés 1945 à créer un grand marché euro-atlantique politiquement et stratégiquement piloté par les États-Unis" (5), permettant à Washington de mieux s'implanter dans cette région pétrolifère.
Ce type d'approche américaine désagrégeant, accentuant dangereusement les divisions et les disparités dans cette région, perturbera de surcroît l'amorce d'un dialogue nord-sud qui pourrait s'établir à l'avenir entre des entités européenne et moyen-orientale de même nature structurelle.
Elle est aussi en passe d'entraîner dans son sillage l'Union européenne dans un comportement néocolonial à travers une annexion de fait de la Turquie, au détriment de la nécessaire confédération moyen-orientale qui devrait voir le jour dans le futur.
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