Lorsqu’en 2009 Erdogan quitta en colère un débat public avec le président israélien à Davos, il est instantanément devenu le héros des arabes et des musulmans. Je lui ai même personnellement consacré un article élogieux, vantant la témérité et la bravoure de son coup d’éclat en faveur du peuple palestinien qui venait de vivre le massacre de Gaza par l’armée israélienne [16]. Par la suite, l’épisode de la flottille de la liberté qui a coûté la vie à neuf citoyens turcs en mai 2010 a envenimé les relations entre les deux pays et un état de quasi rupture des relations diplomatiques est actuellement en vigueur.
Mais qu’en est-il vraiment des relations entre Erdogan et l’état sioniste?
En fait, la position d’Erdogan à l’égard d’Israël était claire dès son accession au pouvoir. Contrairement à son prédécesseur islamiste Necmettin Erbakan, il ne contestait pas l’alliance de son pays avec Israël [17]. Rappelons qu’en 1996, Erbakan avait refusé de ratifier un accord de coopération avec Jérusalem et tenta de suspendre des manœuvres navales turco-israélienne, contre l’avis de ses militaires.
La reconnaissance d’Israël par la Turquie ne date pas d’hier. C’est même le premier pays musulman à l’avoir fait dès 1949, ce qui fait dire à Noémie Grynberg : « …depuis près de 60 ans, les deux pays entretiennent des relations diplomatiques et coopèrent dans de nombreux domaines. Israël et la Turquie partagent beaucoup d’intérêts communs : économique, énergétique, stratégique, militaire, politique » [18].
Quant à Erdogan, il a largement favorisé et dynamisé les relations entre les deux pays. Entre 2002 et 2009, la plupart des groupes israéliens renforcent leur présence en Turquie et les contrats bilatéraux atteignent 2,5 milliards de dollars. En parallèle, l’armée israélienne a activement contribué à la modernisation des forces armées turques, en particulier l’aviation [19].
D’autres « incongruités » sont à signaler dans la politique turque actuelle vis à vis d’Israël. La première, médiatisée, concerne l’acceptation en octobre 2011 de l’aide israélienne lors du récent séisme qui a touché la région turque de Van.
La seconde, passée sous silence, est en relation avec l’incendie du Carmel, en Israël.
La Turquie avait envoyé deux avions pour lutter contre l’incendie en décembre 2010, alors que les relations « officielles » étaient au plus bas [20].
Mais le geste qui réjouit probablement le plus Israël est l’acceptation par la Turquie d’accueillir l’installation antimissile américaine que l’OTAN va déployer dans le territoire turc pour contrecarrer les éventuelles attaques iraniennes [12]. En plus, selon le journal turc Hurriyet, les données recueillies par les radars seront directement transmises aux Israéliens, décision qui a enchanté Ehoud Barak, ministre israélien de la défense :
« La Turquie n’est pas en train de devenir un ennemi d’Israël » a-t-il déclaré. Sur ce même sujet, un haut responsable américain a reconnu que « le déploiement du bouclier antimissile est la plus grande coopération entre la Turquie et les États-Unis au cours des vingt dernières années » [21].
Le récent déploiement de drones américains Predator en Turquie et la vente imminente d’hélicoptères d’attaque pour lutter contre les séparatistes kurdes du PKK (Partiya Karkerên Kurdistan ou Parti des travailleurs du Kurdistan) [22] est certainement une forme de remerciement pour la collaboration turque dans le dossier du bouclier antimissile.
Cette décision a fait bondir aussi bien l’Iran que la Russie.
Le premier a prévenu qu’elle attaquerait les installations turques en cas de menace [23].
La seconde a déclaré qu’elle songeait à déployer ses missiles vers le site antimissile turc [24].
La politique turque du « zéro problème avec nos voisins » vient d’en prendre un sacré coup. Et ce n’est pas le seul.
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