PARTIE III SUITE ET FIN
ARTICLE DE MICHEL COLLON
UN PLAN DE DICTATURE MONDIALE
Au début de leur document, les cinq généraux annonçaient « des pistes pour surmonter une rivalité avec l'U.E. » Comment vont-ils s'y prendre ?
En fait, ils utilisent le cadre de l'Otan pour organiser la soumission de l'U.E.
aux volontés de Washington...
Page 137
: « Nous considérons que les forces multinationales sont la clé d'une modernisation rapide et peu onéreuse des forces de l'OTAN, mais nous soulignons que cette option n'est possible que si les Etats membres acceptent sans restriction que ces forces seront à la disposition de l'OTAN
pour toute opération autorisée par le Conseil de l'OTAN. »
Traduction :
on obligera les armées européennes à obéir aux décisions de l'Otan -actuellement, l'unanimité est requise-.
Le plan des Cinq procure trois avantages aux Etats-Unis :
1. Intégrer des forces européennes dans leurs guerres.
2. Reporter les coûts sur les alliés.
3. Partager aussi l'impopularité.
Le caractère antidémocratique des Cinq se manifeste clairement
page 139 :
« Nous choisissons de ne pas formuler nos propositions pour la réforme de l'UE de façon aussi détaillée que pour l'OTAN, et ceci pour deux raisons : tout d'abord un nouveau traité qui vient remplacer la 'constitution' désormais condamnée est actuellement adopté en douce, de façon à éviter de consulter les populations. »
Leur plan vise bien à rendre impossible toute opposition.
Page 144 :
« Afin d'éliminer toute source d'irritation, il pourrait être décidé que c'est toujours d'abord au sein de l'OTAN qu'un point sera traité et que les membres de l'OTAN qui sont aussi membres de l'UE s'engagent à ne pas s'écarter du vote posé à l'OTAN quand le point est abordé dans des instances européennes. »
Donc, une fois que l'Otan aura décidé, un pays européen n'aura plus le droit de s'opposer.
En conclusion, ce plan de la Bande des Cinq, préparé par des gens qui ont été au sommet du pouvoir militaire mondial, indique une tendance significative dans cette élite.
Leur plan de super - gouvernement mondial à trois -dominé en réalité par les Etats-Unis- jetterait à la poubelle tout vestige du droit international, légitimerait la guerre préventive et les armes nucléaires, organiserait la manipulation systématique des opinions.
C'est un plan de nature fasciste.
Voilà une des deux options auxquelles l'élite des Etats-Unis pense actuellement pour résoudre ses problèmes.
L'autre est incarnée notamment par Zbigniew Brzezinski dont nous avons parlé plus haut...
« L'impérialisme intelligent » ?
Les stratèges militaires US distinguent trois types de guerres qu'ils peuvent déclencher :
1. Les guerres de haute intensité. Il s'agit des affrontements entre grandes puissances du type des deux guerres mondiales.
2. Les guerres de moyenne intensité. Elles comportent aussi un engagement militaire US direct mais contre des puissances beaucoup plus faibles. Comme l'Irak ou la Yougoslavie.
3. Les guerres de basse intensité. Elles ne comportent pas d'engagement militaire direct des Etats-Unis.
Ceux-ci s'arrangent pour faire se battre les autres. Ils provoquent des conflits entre pays voisins, ou à travers des mouvements paramilitaires ou terroristes.
Trompeur, le terme 'basse intensité' peut donner l'impression que les dégâts sont moindres.
En réalité, ils ne sont moindres que pour les Etats-Unis.
Ainsi, la guerre dite de 'basse intensité' que Washington a déclenchée contre le Congo -à travers les armées du Rwanda et de l'Ouganda voisins, et diverses milices- a fait cinq millions de morts
et
elle a paralysé le développement du Congo.
La stratégie Brzezinski, à la différence de Bush, privilégie ces guerres de basse intensité.
Elle n'est donc nullement plus morale, mais se veut juste plus intelligente.
Mais Brzezinski propose aussi de recourir à d'autres formes d'intervention.
Souvent, on ne pense qu'à la forme la le plus visible de l'agression :
l'intervention militaire des Etats-Unis.
En réalité, ils disposent de toute une panoplie.
Si on veut établir une typologie complète, dans l'ordre d'intensité, on doit compter les formes suivantes :
1. Corruptions des dirigeants locaux.
2. Chantages sur ces dirigeants locaux.
3. Campagnes médiatiques de diabolisation.
4. Déstabilisations diverses.
5. Embargos et blocus commerciaux.
6. Coups d'Etat.
7. Provocations de séparatismes.
8. Guerres par intermédiaires.
9. Bombardements.
10. Occupations terrestres.
Toute une gamme de méthodes, on le voit, et qui peuvent évidemment se combiner, mais qui constituent toutes des agressions.
Bien sûr, tous les gouvernements US recourent à l'ensemble de ces méthodes, et pas seulement à certaines.
Mais le dosage et les financements diffèrent.
Après les crimes commis par Bush, on pourrait être tenté de se réjouir de voir un changement de méthodes.
En réalité, si Washington décide de changer ses tactiques, il ne s'agira pas de pacifisme, mais seulement de rendre la brutalité moins visible.
Il faut rappeler que Brzezinski, c'est l'homme qui a financé ben Laden en Afghanistan pour piéger l'Union soviétique dans une guerre de longue durée, coûteuse et briser son alliance avec le monde musulman.
Brzezinski est très fier de son succès et ne manque pas une occasion de le rappeler.
Si les Etats-Unis décident d'appliquer la stratégie Brzezinski, il y aura sans doute moins de guerres directes.
Et elles se feront le plus possible en concertation avec les alliés.
Ce qui permettra également de mieux soigner l'image médiatique et la manipulation de l'opinion.
Et surtout, en faisant travailler davantage la CIA, on s'efforcera de remplacer les guerres menées directement par les Etats-Unis par des guerres 'indirectes'.
Faire se battre des pays voisins en soutenant 'le bon' sous toutes sortes de bons prétextes.
Ce fut la méthode employée avec succès par Clinton contre la Yougoslavie.
La méthode Brzezinski présente deux avantages pour les Etats-Unis :
1. Elle leur redonne un aspect plus présentable, pour rétablir leur autorité morale.
2. En versant moins d'argent au complexe militaro-industriel, elle permet d'aider davantage l'économie US pour renforcer sa position concurrentielle face à l'Europe, la Chine, l'Inde, etc...
Pour économiser sur les guerres, la stratégie Brzezinski recourt davantage aux chantages et aussi à l'action clandestine.
Les chantages peuvent passer, notamment, par l'utilisation des instruments du contrôle économique global comme la Banque Mondiale, le FMI et l'OMC.
Institutions multilatérales mais dominées par les Etats-Unis et permettant de dicter leurs volontés au tiers monde d'une manière apparemment plus objective.
Mais ce ne sera pas facile car la Banque Mondiale et le FMI ont accumulé tant de haines là où ils sont passés que les pays ont cherché des alternatives.
L'idée d'une Banque du Sud, lancée par Chavez, fait son chemin...
L'action clandestine, c'est-à-dire la CIA, devrait aussi être utilisée davantage.
Elle permet de se débarrasser des gouvernements gênants avec des investissements bien moindres.
Voilà pourquoi les tenants de la stratégie de Brzezinski se définissent comme partisans d'un 'soft power' ou 'impérialisme intelligent'.
Le danger, avec ce soft power, serait que la gauche se réjouisse d'être débarrassé de Bush et diminue sa vigilance parce qu'il y aurait - pendant un certain temps - moins de guerres directes.
De sorte que le mouvement anti-guerre international, qui connaît une crise évidente, riposterait encore moins face aux stratégies plus discrètes de l'Empire.
De toute façon, cet Empire ne deviendra pas pacifique.
Tôt ou tard, il relancera des guerres à la Bush.
Parce qu'en fait, l'élite US pratique un cycle d'alternance entre les deux options...
Les présidents passent, les multinationales restent
Elles ne sont pas nouvelles, ces deux options, militariste ou 'intelligente'.
Et il ne s'agit pas d'une opposition entre républicains et démocrates. Parce que ces deux partis ne représentent pas 'la guerre' et 'la paix', mais seulement des électorats différents, et des tactiques différentes, et toujours au services des multinationales.
Ainsi, ce n'est pas un républicain, mais bien un démocrate, Harry Truman, qui a déclenché la guerre en 1950 contre la Corée et la Chine.
Ce n'est pas un républicain, mais bien un démocrate, John Kennedy, qui a commencé la guerre contre le Vietnam en 1961.
Et ce n'est pas non plus un vote populaire contre un vote bourgeois.
Les multinationales US financent toujours les deux candidats, plaçant leurs oeufs dans les deux paniers.
Mais on peut juger leurs préférences aux montants versés.
Au début des années 90, les multinationales investissent des deux côtés, mais privilégient Clinton et les démocrates à 58 %.
A partir de 1996, au contraire, elles misent sur les républicains à 67 %. Aux présidentielles de 2000, c'est Bush qui est financé massivement.
Et déclaré élu bien que le scrutin ait désigné son rival Gore.
Par contre, à la présidentielle de 2008, les multinationales changent à nouveau de côté et financent davantage Obama que son rival McCain.
De toute façon, le même président peut changer de politique.
Après la chute de l'URSS et la fin de la guerre froide, Bill Clinton a d'abord baissé les budgets militaires et les commandes au complexe militaro-industriel dans l'espoir de relancer la machine économique US en général.
Mais, bien que la décision soit passée quasiment inaperçue, le même Clinton, en fin de mandat, a effectué un virage :
« Le budget militaire des Etats-Unis doit augmenter de 70 % » (10)
Ce qui confirme ce qui a été dit plus haut :
les grandes décisions politiques ne dépendent pas du caractère de tel ou tel président, mais bien de stratégies décidées plus haut. Les présidents passent, les multinationales restent.
La politique US alterne les méthodes
Donc, on parlera plutôt d'une alternance dans la politique des Etats-Unis.
Après chaque grand revers, on constate un retour, temporaire, au 'soft power'.
Après la défaite du Vietnam et la réprobation morale envers les dictatures installées par Washington en Amérique latine, les multinationales US ont porté à la présidence le gentil pasteur Jimmy Carter avec de merveilleux discours sur les droits de l'homme.
Après la guerre froide et la première guerre contre l'Irak, le président Clinton s'est efforcé d'embarquer les Européens dans ses guerres et il a soigné la présentation médiatique.
En fait, pour essayer de résoudre ses problèmes, la bourgeoisie US a constamment hésité entre les deux options.
Ou plutôt, elle les a alternées :
un peu plus de bâton, un peu plus de carotte. Mais ses choix deviennent de plus en plus difficiles.
Car aucune méthode ne résout vraiment les problèmes.
A présent, après le désastreux bilan de Bush, cette bourgeoisie US hésite entre les deux options.
Ou bien la fuite en avant, c'est-à-dire la guerre tous azimuts.
Ou bien un repli tactique, reculer pour mieux sauter et réorganiser les méthodes d'action.
La question n'est pas tant de savoir quel président elle choisit,
mais bien quelle stratégie.
De toute façon, on n'est pas certain que la stratégie Brzezinski soit, au final, moins brutale que celle de Bush.
Il est vrai qu'en 2008, il a critiqué publiquement le président en disant qu'il était stupide de vouloir attaquer l'Iran, parce qu'il ne pouvait pas gagner et qu'une guerre serait nuisible à la situation d'Israël, au prix du pétrole,
et donc à l'économie US.
Mais certains analystes pensent que Brzezinski veut ménager l'Iran parce qu'il espère retourner ce pays et le faire participer un jour à un encerclement de la Russie.
Voilà la puissance qui reste la bête noire, l'obsession de l'auteur du Grand Echiquier.
Certains pensent que Brzezinski vise toujours à encercler et affaiblir complètement la Russie, quitte à en découdre avec elle.
Sans oublier la Chine, devenue manifestement une cible majeure.
Dans cette hypothèse, le soft power se transformerait en une apocalypse now.
Leurs solutions aggravent le problème
Que la bourgeoisie US soit divisée sur la ligne à suivre, découle du fait que les Etats-Unis ne sont finalement pas si puissants qu'on le croit.
Ni sur le plan économique, ni sur le plan militaire.
A chaque fois que les dirigeants des Etats-Unis ont cru avoir trouvé une solution, il s'est avéré après un certain temps que cette solution aggravait le mal.
Par exemple, dans les années 80, pour échapper à la récession, les multinationales US ont foncé sur l'Amérique latine et d'autres régions du tiers monde, faisant main basse sur leurs matières premières, leurs entreprises, leurs marchés.
Mais comme cette offensive néolibérale a tellement appauvri ces pays, elle a provoqué des catastrophes économiques, donc des résistances de plus en plus fortes et l'Amérique latine a viré à gauche.
A partir de 1989, Washington a déclenché une guerre globale pour s'assurer le contrôle absolu du pétrole.
Mais le pétrole lui a échappé de plus en plus.
A partir de 2001, Bush a déclenché sa guerre contre le prétendu Axe du Mal, mais il n'a réussi qu'à renforcer les résistances dans toutes les régions.
Les Etats-Unis paraissent très forts, mais le sont-ils vraiment ?
Avec tous leurs dollars, toutes leurs technologies et tous leurs crimes, ils ont perdu la guerre de :
Corée (1950) et celle du Vietnam (1961-1975),
ils ont dû se replier du Liban (1982) et de la Somalie (1993),
ils n'auraient sans doute pas gagné en Yougoslavie (1999) si le président Milosevic avait accepté les combats terrestres,
et ils ont d'ores et déjà perdu en Irak et en Afghanistan, même s'ils ne le reconnaissent pas encore.
Ne sont-ils pas, effectivement, comme on dit, un 'tigre en papier' ? Sur le long terme, les peuples qui défendent leurs richesses et leur avenir, ne sont-ils pas plus forts que les dollars et les missiles ?
Les Etats-Unis ont beau dépenser à eux seuls plus que toutes les autres nations du monde ensemble pour les budgets militaires, cela ne réussit plus à leur assurer la suprématie mondiale.
Ils sont eux-mêmes victimes, si l'on peut dire, de leur contradiction fondamentale :
tout ce qu'ils font s'oppose aux intérêts de l'immense majorité des habitants de cette planète, ils créent donc eux-mêmes la force qui les abattra.
Une armée ne peut pas être plus forte que l'économie qui la finance.
Et la faiblesse fondamentale qui empêchera les dirigeants US d'atteindre leur but, c'est que l'économie US scie la branche sur laquelle elle est assise.
En sous-payant ses travailleurs, en délocalisant une partie de sa production, en ruinant les pays du tiers monde qui devraient être ses partenaires, elle ne cesse d'appauvrir ceux à qui elle est censée vendre.
Ce problème, aucune des deux options, ni la militariste, ni l' 'intelligente' ne pourra le résoudre.
Les militaristes augmentent les dépenses et les résistances.
Les 'intelligents', s'ils diminuent la terreur diffusée par la guerre directe, encouragent aussi la résistance.
Quelle que soit la tactique choisie, les Etats-Unis continueront à porter la guerre partout dans le monde.
Pour imposer leur système économique et leurs intérêts.
Il est urgent de recréer un puissant mouvement pour la paix et la souveraineté des peuples.
MICHEL COLLON
SOURCES :
(1) John E. Peters, etc, War and escalation in South Asia, www.rand.org/pubs/monographs/2006/RAND_MG367-1.sum.pdf
(2) New York Times, 3 avril 2008.
(3) Le Monde, AFP, Reuters, Le Figaro, 21 avril 2008
(4) Corriere della sera, 21 avril 2008.
(5) Michel Collon, Monopoly, EPO, Bruxelles, 2000. Epuisé, voir copie gratuite à :
Brzezinski
(6) Le Soir (Belgique), 23 avril 2008.
(7) Project for a New American Century (PNAC), Rebuilding America's Defenses, septembre 2000.
(8) Towards a grand strategy for an uncertain world, German Marshall Fund of the United States, www.gmfus.org/event/detail.cfm?parent_type=E&id=451
(9) Nouvel Observateur (France), 1er juillet 1999.
(10) Clinton Remarks on US Foreign Policy, 26 février 1999.
Les liens entre l'économie et la guerre sont analysés dans le livre "Bush le cyclone" :
Bush le cyclone
Ce livre répond notamment à la question "Qui commande à Bush ?" Et donc au prochain président.
Ces questions seront aussi abordées dans le prochain séminaire organisé par Investig'Action les 8 et 9 novembre.
Infos : magali.investigaction@gmail.com
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la Russie, la Chine, l'UE, l'Irak, l'Afghanistan, Brzezinski, Obama...